Maison des arts de Créteil - Ten
Théâtre

Ten

Guilda Chahverdi
Abbas Kiarostami

saison24.25
12—13nov. 2024
20h00
Théâtrales Charles Dullin

J’étais une petite fille insouciante quand le chaos s’est installé en Iran en 1979. À la révolution succédait l’instauration de la République islamique. Avec violence, ses lois ont réduit les droits de toutes et de tous. Les femmes n’allaient plus occuper le même espace ni dans la société ni dans la ville. Elles ne pouvaient plus prétendre à certains métiers, étaient bridées sous l’autorité des hommes. Le voile a été imposé dans les écoles, même pour les petites filles forcées de chanter les louanges du nouveau régime. Nous étions deux filles dans la famille ; mes parents juraient contre cette absurdité et ont décidé de quitter l’Iran pour le bien de notre éducation ma soeur et moi, juste le temps que la mascarade prenne fin. Nous sommes restés en France. Mais le lien avec une terre d’origine et une culture ne se rompt jamais. Que serais-je devenue si j’avais grandi en Iran ? Comment aurais-je supporté le contrôle sur mon éducation, mes émotions, mon corps, mes amours, mes pensées, mes paroles, mes croyances… ? Aurais-je résisté ? Me serais-je enfermée et inventé des raisons pour continuer à vivre ? Où se serait située ma capacité à choisir ? Aurais-je su inventer une liberté ? Je ne le saurais jamais. Il me manque l’expérience du quotidien dans ce climat complexe de la société iranienne régi par les règles du régime de la République islamique.
C’est ce que Kiarostami dans « Ten », réalisé en 2002, nous donne à voir et à comprendre. Sa caméra intercepte les trajectoires intimes de l’existence de femmes iraniennes de classes sociales différentes et de différentes générations. Leurs paroles sont prononcées dans l’espace clos de la voiture, propice à la délivrance des mots, durant un trajet saisi du quotidien. Mais la réalité crue qu’il filme n’évince pas le déploiement d’une poésie propre à l’artiste mais aussi à la pensée iranienne. Il y a un jeu habile et doux entre ce qui est montré et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est dit et ce qui ne l’est pas, entre le champ et le hors-champ. Cette poésie-là est une grammaire avec laquelle j’ai grandi. Aussi, quand Nicolas Liautard directeur des Théâtrales Charles Dullin m’a parlé du projet de produire l’adaptation théâtrale de « Ten » en persan en France, j’ai souhaité, comme une évidence, en être la metteuse en scène.

Le film présente dix séquences dialoguées, d’inégales durées, numérotées par ordre décroissant. Cinq femmes et un enfant viennent prendre place à côté de Mania, au volant d’une voiture. Les épisodes se déroulent sur plusieurs jours et se situent tous dans la voiture conduite par la jeune femme, mère d’un garçon de 10 ans. Mania est divorcée et remariée ; elle mène les conversations avec chacune des personnes qui s’installent dans sa voiture. Elle ne les connait pas toutes. C’est une habitude très fréquente en Iran de prendre des passagers inconnus sans pour autant être chauffeur de taxi. Les personnages sont Mania la conductrice, Amin, son fils, Mandana, sa soeur (sur la route de la maison de Mania), une vieille femme (sur le chemin du mausolée), une prostituée (la nuit, un temps durant son travail), une jeune femme (sur le chemin du mausolée) et enfin Roya, une amie de Mania (sur le chemin d’un restaurant).
Au-delà de la trajectoire personnelle de cinq femmes et de l’enfant Amin, l’oeuvre évoque les grands thèmes de l’existence humaine : la famille, la religion, la sexualité, l’éducation, l’amour, le langage. Les dix étapes de la vie des personnages pourraient aussi bien représenter la trajectoire mentale et émotionnelle d’une seule et unique femme.

Le théâtre offre lui-même un dispositif d’espace clos dans lequel public et acteurs sont placés. Il est comme un prolongement du huis-clos du véhicule dans la ville et une mise en abyme qui met en exergue le procédé lui-même au profit de la force des conversations, d’une lecture du chemin de l’existence de chacune des femmes et de l’appréhension au plus près de la réalité des personnages.
La caméra de Kiarostami offre des plans serrés sur les personnages assis dans le véhicule.
Le réalisateur choisit de nous montrer tantôt celle qui parle et tantôt celle qui écoute. La
particularité première sans doute, de l’espace théâtrale pour cette adaptation, est la possibilité de voir ce qui est caché, de voir le corps qui ne parle pas mais à qui l’adresse est faite, de voir l’absence, d’identifier le caché, de mesurer le trouble de la cohabitation entre l’hostilité de l’espace extérieur et l’accueil au sein de l’espace privé qui autorise la vulnérabilité et la parole libre. ( …) Guilda Chahverdi 

Témoin privilégiée de l’évolution de la scène artistique contemporaine au Moyen Orient, Guilda Chahverdi est tout à la fois directrice artistique, metteuse en scène, commissaire d’exposition et maitre de conférence à Marseille.

D'après Ten de Abbas Kiarostami (2002)
Avec Sima Mobarakshahi, Homayoun Fiamor, Simine Keramati, Toufan Manoutcheri, Catayoun Ahmadi, Mahsa Karampour. 
Scénographie, lumières : Emeric teste
Son : Nathan Avot
Costumes : Sara Bartesaghi- Gallo & Simona Graziano
Surtitrage : Madokht Karampour
Coproduction : Théâtrales Charles Dullin - Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne, Créteil - Maison des Arts, Centre des bords de Marne - Le Perreux-sur-Marne, Théâtre-cinéma de Choisy-le-Roi. 
Création Novembre 2024.

© Outplayfilms

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